Wiki Des Guerriers de la Montagne
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Feuille-0

Chapitre 1


L'aube s'était levée dans la plaine, le brouillard qui la couvrait d'un épais voile depuis quelques heures, commençait peu à peu à s'effacer sous la lumière du nouveau jour. À travers la forêt, le soleil pâle du matin filtrait à travers les branches des arbres menus, ayant perdu la majorité de leurs feuilles.

Tandis que la vie s'éveillait dans la combe, un félin sortit d'un buisson d'un bond étonnant, plongeant entre les herbes mouillées par la rosée, les pattes raides. Celui-ci venait de bondir sur une proie. En un coup de croc, il prit la vie de la pauvre bête qui pendit bientôt, immobile, au bout de son museau. La chatte croqua une seconde fois dans sa proie pour s'assurer qu'elle soit morte.

La chaleur des rayons firent étinceler sa fourrure blanche. La femelle avait un pelage clair, parsemé de taches rousses flamboyantes. En goûtant la chair fraîche, ses griffes se plantèrent dans la terre. Cela faisait bien trop longtemps qu'elle n'était pas partie chasser. Malgré tout, elle dut se retenir de dévorer la bête. Les oreilles aux aguets, elle leva les yeux vers le haut des arbres, sa proie en bouche. La saison des feuilles mortes battait son plein et les proies commençaient à devenir rares. Bientôt, les rongeurs de cet endroit ne suffiraient plus à tous nourrir elle et son Clan.

   « Alors ? Tu l'as eu ? »

La chatte tachetée sursauta, les poils de la nuque soudainement hérissés. Après un chahut dans les branches d'un buisson d'ajoncs, une chatte aux couleurs foncées bondit des fourrés et apparut devant la femelle. C'était une chatte noire tachetée de légères coupures rousses et blanches. Ses yeux verts s'écarquillèrent en voyant le rongeur dans la gueule de sa congénère.

   « Pas mal du tout ! Il faut dire que tu t'en sors bien. D'habitude, tu n'es pas capable d'attraper le moindre moineau avec tes grosses pattes, souffla-elle, un éclat de malice au coin des yeux. Tu dois tenir ça de papa...

- Arrête avec ça ! »

La femelle blanche avait répondu avec froideur. Elle agita les oreilles, agacée de cette réflexion déplacée. Avec tout le travail qu'elles avaient, comment sa sœur pouvait se permettre de la taquiner de la sorte ? Préoccupée, la femelle claire prit sa proie en bouche et fit quelques pas, puis l'enterra un peu plus loin afin de revenir la chercher plus tard.

   « Fleur Sauvage, tu devrais arrêter d'être aussi sérieuse un peu ! On croirait voir un blaireau contrarié ! »

La nouvelle venue venait de se placer devant la chatte blanche, la considérant du regard comme si elle l'accusait.

   « Le clan n'a pas besoin d'une tête triste en plus. Tu ne crois pas que Plume d'Aigue-Marine a bien assez de problème comme ça, elle ? Fais au moins cet effort. »

Fleur Sauvage ne sut quoi répondre. Plume d'Aigue-Marine, leur sœur, était plus faible que jamais, et ce n'était pas le moment de flancher. Elle leva les yeux vers sa sœur, l'air abattu.

   « Je suis vraiment désolée, Lune Brillante, balbutia-t-elle. C'est que tout ce voyage me rend perplexe. Et si le Clan des Étoiles ne nous suivait pas cette fois ? Le périple du lac remonte à si longtemps... Même les anciens racontent ne pas y avoir assisté, et très peu savent ce que les Clans étaient avant cela. L'attaque des loups n'a fait que de nous affaiblir, et ce voyage risque de tous nous tuer. J'essaie de me rassurer, mais je ne peux m'empêcher de croire que tout cela nous mène à notre perte. »

Presque aussitôt, Lune Brillante mit un coup de patte sur l'oreille de sa sœur pour la faire taire.

   « Non mais ! gronda la chatte. Tu es une guerrière du Clan du Tonnerre ! Et plus que jamais, ton Clan et ta famille ont besoin de toi. Ce n'est pas en te lamentant que tout va s'arranger. »

Un silence s'installa tandis que les deux chattes se regardaient, droit dans les yeux. Fleur Sauvage se sentit bête. Cet écart ne lui serait certainement pas arrivé en compagnie de son chef, mais elle pensait que sa sœur comprendrait, elle. Même si cela aurait dut lui sembler évident, Lune Brillante n'était pas du genre à se plaindre. Fleur Sauvage admira même son courage et son ardeur face à la situation, alors même qu'il s'agissait là de la vie de leur sœur.

   « Bon, souffla, Lune Brillante au bout d'un instant. La chasse n'est pas finie. Plume d'Aigue-Marine à besoin de se nourrir. Allons-y, nous en reparlerons plus tard. »

La femelle partit dans la direction par laquelle elle était apparue en frôlant sa sœur, comme pour la soutenir. Fleur Sauvage la regarda partir, mélancolique, et avant qu'elle ne disparaisse entièrement entre les branches, elle lui miaula d'un voix forte :

   « Bonne chasse ! On se retrouve à midi au campement ! »

La femelle lui répondit d'un bref signe de tête, puis fila dans la forêt sans se retourner.

Fleur Sauvage inspira, puis continua sa route. Elle borda un cours d'eau afin de facilement retrouver son chemin lors du retour. L'endroit lui était inconnu, et pourtant, elle parvenait assez facilement à s'y retrouver. Le voyage dont elle faisait partie lui avait fait découvrir beaucoup de paysages et lui avait apprit à savoir se repérer, même dans des lieux inconnus. En longeant la rive, elle vit sur l'autre berge un chasseur du Clan de la Rivière, occupé à pécher. Le Clan de la Rivière était l'un des deux autres Clans qui accompagnaient le Clan du Tonnerre dans ce voyage. Malgré leur distance de Clan et leurs coutumes différentes, ils avaient réussit à s'unir à temps pour fuir ensemble l'attaque des loups. Ce périple avait presque effacé les anciens conflits entre les chefs et les guerriers.

Le chasseur du Clan adverse brandit une patte, et en un coup rapide, balaya la surface de l'eau pour en chasser un poisson. La proie vola en l'air et atterrit au sol, se débattant et suffoquant à l'air libre en quête d'eau. Un instant plus tard, le matou planta ses griffes dans la chaire fraîche et attaqua la tête de sa proie. Il releva la tête pour saluer Fleur Sauvage, puis se mit en quête d'un nouveau gibier.

Fleur Sauvage dût marcher longtemps avant d'entendre la présence d'une proie. Au bout de quelques minutes de marche, elle sentit l'odeur d'un rongeur dans l'air. Aussitôt, elle s'abaissa au sol, les yeux à l'affût du moindre mouvement. Plus bas, au bord de l'eau, des herbes frémirent. La chatte avança aussi prudemment qu'elle le put, les pattes tremblantes d'excitation, et pourtant bien en appuis. Cette proie allait nourrir son Clan, et avant tout sa sœur. Ici, il était dur de trouver du gibier, et surtout en cette saison où la neige ne tarderait pas à tomber.

Fleur Sauvage glissa jusqu'à sa proie, aussi discrètement que possible, faisant bien attention à être face au vent. Elle y était presque, désormais, elle parvenait à voir le petit rongeur perché sur une pierre plate. Après un autre pas, elle s'arrêta, puis se ramassa sur elle même. Le rat d'eau n'était qu'à une longueur de queue. Celui-ci était occupé à grignoter un brin d'herbe. La chatte se prépara à bondir, puis sauta, les griffes sorties. Le rongeur leva la tête et fila aussitôt en direction de son terrier. La femelle se ramassa, mais dès que ses pattes musclées frôlèrent la terre, elle se lança aussitôt à sa poursuite. Elle fila aussi vite qu'elle le put, la queue filante en corrélation avec ses mouvements. Et avant qu'il n'ait le temps de rentrer dans son terrier : elle balaya ses pieds d'un coup de patte rapide. Une fois le rongeur sonné, elle bondit sur lui et croqua dans la chaire fraîche en le saisissant entre ses griffes acérées. Le rongeur eut un spasme, puis s'immobilisa.

Cette proie serait sa dernière prise de la journée. Le soleil approchait du midi et cette chasse lui avait prit bien trop de temps. Les clans se remettraient bientôt en route et tout les membres devaient être présents à leur départ. Fleur Sauvage ramassa le rongeur, fatiguée par sa course, puis se remit en route en prenant le chemin inverse.

Le soleil approchait du zénith lorsqu'elle retrouva enfin sa prise du matin. Elle la prit dans sa gueule puis accéléra l'allure en direction de la vallée. Les trois clans s'y trouvaient. Peu à peu, les arbres commencèrent à disparaître, laissant place à une steppe herbeuse dont les dernières fleurs dorées se frayaient une place avant la mauvaise saison, guettant vainement les rayons du soleil. Au loin, Fleur Sauvage perçut la fourrure écaillée noire de sa sœur : Lune Brillante. Elle accourut jusqu'à elle, heureuse de la retrouver. Arrivée à son niveau, elle colla sa tête contre la sienne. Elle aussi avait trouvé un peu de gibier. Elle tenait entre ses crocs un merle maigrelet, dont les plumes de la queue avaient été arrachées.

Les deux sœurs s'échangèrent un regard complice, puis filèrent côte à côte en direction d'une légère colline au loin, semblant se détacher du reste du décor.

Malgré ses deux proies en bouche, Fleur Sauvage pouvait déjà sentir dans l'air l'odeur de ses congénères. Après avoir franchit des gravats, la chatte arriva au sommet de l'éboulis à la suite de sa sœur. Dans le creux de la steppe se trouvait des dizaines de chats éparpillés ici et là dans le campement. Les trois chefs semblaient déjà avoir rassemblés leurs Clans respectifs pour se préparer au départ.

Fleur Sauvage descendit les quelques pierres puis trotta vers son Clan, la mine fière. La chatte blanche avait décidé d'écouter sa sœur et essayait de sembler plus confiante pour les siens. Du coin de l'œil, elle vit sa mère s'approcher d'elle, les yeux luisants de fierté.

   « Oh Fleur Sauvage, tu es rentrée à temps ! » fit la chatte crème tout en passant un coup de langue emplit d'amour sur l'épaule de sa fille..

Son odeur rassurante lui fit échapper un ronron affectif. La chatte lui échangea un regard tendre puis reprit.

   « Étoile de Tempête a déclaré que nous partirons après que les derniers chasseurs soient rentrés. »

La mère stoppa sa phrase en voyant les proies qu'avait ramené sa fille. Fleur Sauvage les posa au sol pour libérer sa gueule.

   « C'est tout ce que j'ai trouvé... » souffla la guerrière en contemplant le maigre butin qu'elle venait de ramener.

Étrangement, ses trophées lui semblaient désormais bien maigres face à toutes les bouches qu'il restait à nourrir au sein de ses congénères. La chatte crème passa sa queue sur l'épaule de la femelle en ronronnant.

   « Tu as fait de ton mieux. Le Clan a besoin de reprendre des forces avant le départ. Vas voir Queue de Serpent et apporte lui ce rat d'eau. Je pense qu'il en a plus besoin que nous tous. Le pauvre, avec tout ce voyage, il a du se nourrir encore moins que nos apprentis. Moi, je prends ce campagnol et je l'apporte à ta sœur. Elle n'a toujours rien avalé depuis... » la chatte stoppa sa phrase, les yeux emplis de tristesse.

Fleur Sauvage échangea un regard plein de compassion à sa mère.

   « Tu veux que je m'en occupe ? » proposa-t-elle.

   « Non, je m'en charge, ne t'en fais pas. Occupe toi d'apporter ça à notre guérisseur. Puis nous partirons. »

La chatte saisit le rongeur puis s'éloigna d'un pas rapide. Fleur Sauvage eut de la peine pour sa mère. Elle qui tentait désespérément de nourrir Plume d'Aigue-Marine, sa sœur, qui n'avait pas prononcé un mot depuis sa tragédie. Fleur Sauvage secoua la tête pour chasser ces sombres pensées et se rappela des conseils de Lune Brillante. La chatte blanche et rousse sauta sur ses pattes et se dirigea vers le nid provisoire du guérisseur de son Clan, Queue de Serpent. Celui-ci semblait sur le départ, mais sa tête baissée trahissait sa fatigue croissante. La jeune guerrière approcha doucement, sa proie en bouche. Elle vit le matou se ressaisir lorsqu'il l'aperçut approcher, puis fit mine de rien. Fleur Sauvage marcha jusqu'à lui et déposa à ses pattes le rongeur mort.

   « Tiens, Aile de Chouette m'a dit que tu en avais besoin. Je l'ai chassé ce matin. »

Le matou la remercia d'un regard qui en disait long. Le pauvre chat ne semblait même plus avoir la force de parler. Celui-ci s'abaissa sur le rat-d'eau et commença à le décortiquer pour en déguster les meilleurs morceaux. Fleur Sauvage envia un instant le matou brun puis se dit qu'il était préférable de le laisser. Elle non plus n'avait pas mangé aujourd'hui. La faim lui tordait le ventre, mais le Code du Guerrier était clair : Les faibles devaient se nourrir avant tout le monde, même si les chasseurs avaient l'estomac dans les talons. La guerrière se leva puis fit quelques pas. Il allait être temps de partir et elle voulait rejoindre sa famille pour le départ.

   « Ta mère est vraiment gentille, souffla le Queue de Serpent entre deux bouchées. Tu pourras la remercier de ma part ? »

La chatte fut surprise que le matou lui adresse la parole. Mais elle se contenta de lui sourire et inclina la tête pour lui promettre qu'elle le ferait. La chatte prit appui sur le sol et fila vers l'endroit où elle avait vu sa mère pour la dernière fois. Elle pensa que la chatte crème devait encore être auprès de Plume d'Aigue-Marine. Fleur Sauvage se demanda si la chatte avait enfin décidé de se nourrir. Sa sœur semblait si faible depuis quelques jours que quelques anciens lui demandaient régulièrement si elle était mourante, ce à quoi elle rétorquait avec assiduité que c'était faux. Enfin, elle essayait de s'en convaincre.

La guerrière tachetée se dirigea vers un bord de la combe. Elle dut écarter sur son passage quelques apprentis qui se rassemblaient pour suivre la piste d'Aile de Chouette. Alors qu'elle allait dépasser un buisson, elle entendit au loin la voix de sa mère, ainsi que celle de Plume d'Aigue-Marine, sa sœur. Elle approcha un peu plus pour pouvoir les entendre.

   « ... Enfin Plume d'Aigue-Marine, tu dois te nourrir... Le voyage risque d'être long et nous n'aurons peut-être pas d'autre halte avant d'arriver aux nouveaux territoires. Je t'aime autant que tes deux sœurs, mais je ne pourrais jamais me le pardonner s'il vous arrivait malheur. Je vous aimes trop. »

Fleur Sauvage avança la tête pour les voir et découvrit avec peine sa sœur, allongée sur le flanc tournant le dos à leur mère et ne répondant pas. Le campagnol n'avait pas été entamé. Le regard bleu de Plume d'Aigue-Marine semblait perdu dans le vide. Fleur Sauvage se surprit même à se demander si sa sœur avait entendu sa mère parler tant elle semblait distraite. Aile de Chouette, baissa la tête, peinée de se voir impuissante face à la situation.

   « Tu sais, Plume d'Aigue-Marine, tes chatons sont morts... Il faudra que tu l'acceptes un jour ou l'autre. S'il te plaît, redevient ma petite fille joyeuse, comme autrefois... »

La femelle âgée se leva et passa un coup de langue sur l'oreille de la jeune chatte en lui soufflant à l'oreille quelque chose que Fleur Sauvage ne parvint pas à entendre. La chatte crème, finit par faire demi-tour, laissant le rongeur à côté de la chatte allongée.

Fleur Sauvage décida de s'approcher pour essayer de raisonner Plume d'Aigue-Marine, malgré l'effort immense que cela lui demandait. Elle devait à la fois la soutenir en gardant espoir et en la convainquant de la suivre pour le voyage. Mais comment pouvait-elle, ne serait-ce comprendre la douleur de la jeune mère. La guerrière s'approcha peu à peu, et découvrit avec effroi la maigreur de sa sœur. Sa fourrure beige semblable à celle de leur mère était ébouriffée, comme si elle n'avait pas pris soin de sa fourrure depuis des lunes. Ses côtes étaient apparentes et laissaient deviner son squelette.

   « Fleur Sauvage ? C'est toi ? » miaula soudain Plume d'Aigue-Marine d'une voix frêle.

   « Oui, Plume d'Aigue-Marine. Comment vas-tu ? » ronronna légèrement la chatte tout en posant le bout de sa queue sur le dos amaigri de la femelle crème. Fleur Sauvage fut soulagée que la chatte daigne lui adresser la parole. Cela faisait des jours qu'elle n'avait pas entendue sa voix.

La tête faiblement levée de la jeune mère s'affaissa aussitôt, ses oreilles se plaquèrent sur son crâne et sa queue s'agita avec force. Contre toute attente, elle répliqua avec froideur :

   « D'après toi ? »

Fleur Sauvage ne sut que répondre. La tristesse de sa sœur lui envahit le cœur avec une telle violence que la femelle blanche se demandait si ce n'était pas elle qui était autant détruite. Elle poussa finalement un long soupir, lécha le haut du crâne de sa sœur en signe de son amour et de son soutien puis se prépara à repartir. Parler ne servirait à rien. La réponse froide de sa sœur venait de lui faire perdre tout espoir de la raisonner, et Fleur Sauvage ne voulait pas se disputer avec elle. Après avoir fait quelques pas, elle stoppa net.

   « Je reviendrai te voir plus tard", miaula-t-elle avec mélancolie tandis qu'elle reprenait sa marche. « Mange, ça te fera le plus grand bien. »

Alors qu'elle n'avait fait que quelques pas à travers l'épaisse broussaille de la steppe, un miaulement l'interrompit. Queue de Serpent cheminait à sa rencontre, la mine complètement déconfite. Il se dandina, mal à l'aise.

   « Excuse moi de te demander ça, Fleur Sauvage, mais pourrais-tu veiller sur Croc de Jaguar le temps pour moi d'aller lui chercher des remèdes ? » lui demanda le mâle brun tout en posant sur elle ses yeux jaunes impénétrables.

N'hésitant jamais à prouver son dévouement auprès de son clan, Fleur Sauvage ne réfléchit pas longtemps avant de répondre.

   « Bien sûr ! Mais reviens vite, tous les Clans sont sur le départ. » ronronna la femelle. Le matou la remercia grandement et fila avec une énergie étonnante en direction de la forêt avoisinante.

Fleur Sauvage s'engagea aussitôt en direction du nid de fortune qui servait de tanière pour les malades. Elle put bientôt repérer la fourrure entremêlée d'un chat noir, le seul malade du Clan qui avait lui aussi survécu aux loups. Les yeux fermés et le souffle rauque, Croc de Jaguar gisait à même le sol, peinant à trouver une respiration calme. À l'approche de Fleur Sauvage, ses oreilles remuèrent et le jeune mâle tenta de se redresser avec grande peine. Tout en poussant un juron, le récent guerrier réussit à s'asseoir et déplia faiblement ses pattes. Son souffle saccadé démontrait l'effort dont il dut faire preuve pour pouvoir se relever. Ses yeux bleus vinrent à la rencontre de ceux de Fleur Sauvage.

   « Salut Fleur Sauvage, ça roule ? » miaula joyeusement le matou d'un air se voulant optimiste.

La chatte pût déceler une once de malice dans le regard amusé du jeune félin. Cette attitude qui lui était propre sut emplir la femelle d'espoir.

   « Je vois que tu n'as pas perdu ton humour » ronronna-elle avec en passant un coup de langue sur le coin de son museau.

Ce dernier réprima un éternuement, il semblait si faible. Fleur Sauvage eut un pincement au cœur pour son camarade. Il se battait depuis tellement de temps contre cette maladie qu'il avait failli ne pas être nommé guerrier. Mais jamais cette maladie n'avait été aussi forte chez lui.

   « Tu devrais te reposer, Croc de Jaguar » miaula doucement la guerrière en entourant d'un air compatissant les épaules du mâle noir. Ce-dernier se laissa faire, visiblement à la limite de sa forme. Le matou tacheté s'endormit presque aussitôt, sa respiration saccadée semblant se calmer au fur et à mesure du temps. Fleur Sauvage poussa un profond soupir.

   « Quand est-ce que Queue de Serpent trouvera les herbes pour te soigner ? » chuchota Fleur Sauvage pour elle-même.

Cela faisait quelques lunes que Croc de Jaguar était alité auprès de Queue de Serpent. Le guérisseur du clan lui avait diagnostiqué une maladie connue sous le nom de mal blanc. Généralement très peu de chats mourraient de cette maladie lorsque les guérisseurs disposaient de remèdes. Or, cette fois-ci ce n'était pas le cas. Queue de Serpent avait dut abandonner toutes ses réserves médicinales lors du grand départ, et peu après, Croc de Jaguar en était tombé malade. Le mal blanc provoque des éternuements perpétuels tandis que la truffe des malades dégouline sans cesse, et c'était le cas du guerrier. Fleur Sauvage poussa un profond soupir, Croc de Jaguar ne méritait pas cela. Il s'était toujours montré d'un dévouement exemplaire et n'hésitait jamais à aider ses camarades de quelques façons. Non. Il ne méritait vraiment pas cela.

   « Tout va bien, Fleur Sauvage ? »

C'était Lune Brillante. La chatte entra dans l'endroit et approcha doucement. Elle pressa sa truffe contre celle de Fleur Sauvage.

   « Tu as pu voir Plume d'Aigue-Marine ? » chuchota la femelle noire.

Fleur Sauvage hocha brièvement la tête et se releva lentement. Elle tourna la tête vers Croc de Jaguar et chuchota doucement, comme si elle préférait éviter le sujet de leur sœur malade.

   « Il dort à point fermé. »

Lune Brillante sembla comprendre, mais ne posa pas plus de question. Ensemble, elles quittèrent la tanière des malades. À ce moment, Queue de Serpent revint de cueillette, bredouille. Sa queue traînait derrière lui, comme si le monde s'effondrait.

   « Nous en trouverons la prochaine fois » souffla Fleur Sauvage à l'attention du guérisseur.

Queue de Serpent hocha la tête et remua les moustaches en guise de remerciement. Finalement le matou brun s'assit aux côtés de la femelle et posa un regard dépité sur le guerrier noir endormi au fond du buisson.

   « Je suis impuissant face à cette maladie » fit-il, les mâchoires serrées.

   « Tu as fait de ton mieux, Queue de Serpent » répondit-elle, sa truffe enfuie dans l'épais pelage du matou.

   « Oui » ajouta Lune Brillante. « Tu es un guérisseur d'exception, tu sauras le guérir, j'en suis sûre. »

Ce-dernier soupira puis se leva.

   « Vous devriez repartir avant d'être contaminées. Les chefs ont annoncés le départ, je vais réveiller Croc de Jaguar. Fleur Sauvage ? Tu peux prévenir Feuille de Pin que son compagnon ne pourra pas être à ses cotés pour le voyage ?

- D'accord. » fit-elle d'un air solennel. « Lune Brillante, tu peux allez trouver Plume d'Aigue-Marine et Aile de Chouette ? Je vous rejoindrai lors du départ, je n'en n'ai pas pour longtemps.

- Fais vite. » Lune Brillante passa près de sa sœur en lui échangeant une œillade entendue.

Fleur Sauvage fila un regard vers l'intérieur du buisson et adressa une prière auprès de ses ancêtres.

Clan des Étoiles, je vous pris de veiller sur Croc de Jaguar et de nous le ramener en pleine forme dans les lunes à venir.

La femelle bondit sur ses pattes et chemina à travers la camp. Elle trottina jusqu'à un épais buisson qui faisait office de pouponnière, en passant près d'un rocher brunâtre elle entendit malgré elle un brin de conversation très animé.

   « Voyons Étoile de Tempête ! Ce serait du suicide de continuer le voyage de nuit ! » s'indigna une voix grave.

   « Je sais, Plume de Flamme, mais les autres chefs ne sont pas de notre avis. Ils veulent en finir au plus vite, lui répondit une autre voix plus rauque que la première. »

Fleur Sauvage ne voulait pas en entendre plus, tout cela ne la concernait pas. Elle profita des quelques rayons du soleil qui se faisaient rares pour ralentir un peu. Du coin de l'œil elle repéra la fourrure rousse claire d'une de ses camarades de tanière, Feuille de Pin.

C'était la compagne de Croc de Jaguar. La pauvre vivait dans l'espoir de voir son compagnon guérir mais depuis peu, depuis que Queue de Serpent lui avait annoncé qu'elle attendait des chatons, la reine ne pouvait en aucun cas rendre visite au père de ses petits. Elle discutait souvent avec pour se tenir au courent de l'état de son compagnon. Une autre reine était allongée près d'elle et l'écoutait avec attention. Son pelage gris-bleu était parfaitement lissé et son ventre gonflé suggérait l'arrivée de chatons pour très prochainement.

Fleur Sauvage ne put s'empêcher de ronronner. Le clan semblait jusque là en piteux état, mais l'arrivée de nouveau chaton ne pouvait être que bénéfique pour le Clan.

Avant que Fleur Sauvage n'ait le temps d'aller voir la chatte pour lui annoncer la nouvelle, un bruit de cavale attira son attention. Trois félins du Clan du Tonnerre venaient d'apparaître du haut de la combe. Ils cheminèrent ensemble jusqu'au roc le plus imposant. La dernière patrouille de chasse venait de rentrer. Fleur Sauvage leva la tête, les oreilles dressées, droites sur sa tête. Ce groupe était constitué de trois guerriers extrêmement doués pour la chasse. Parmi eux se trouvait Source Argentée : une guerrière du Clan, Cœur de Jais : un guerrier massif au pelage noir, et Cœur Argenté : un matou gris perle.

Source Argentée tenait dans sa gueule un merle tandis que Cœur Argenté avait ramené un lapin.

   « Ces proies n'ont que la peau sur les os ! » gronda une vielle chatte au pelage écaille en se frayant un passage à travers le groupe de félin qui commençait à se réunir autour du groupe de chasseur.

   « Hé, l'ancienne ! Si t'es pas contente tu n'as qu'à aller chasser à notre place ! » répliqua aussitôt Cœur de Jais, les pattes frémissantes de colère.

L'ancienne au pelage écaille bondit sur le rocher et dévoila une rangée de crocs jaunies par l'âge. Le matou n'hésita pas à gonfler sa propre fourrure et hérissa les poils le long de son échine. Bien campés sur leurs appuis, la situation ne tarderait pas à dégénérer.

   « Cœur de Jais ! Pétale d'Ambre ! Il suffit ! » miaula avec fermeté un mâle robuste au pelage gris, rayé de toute part, qui venait d'apparaître du haut du rocher dominant la petite combe. C'était Étoile de Tempête, le chef.

Aussitôt les deux combattants se séparèrent. Le mâle noir sembla totalement prit au dépourvu et se lécha aussitôt le poitrail signe de son embarra. À l'opposé, l'ancienne, nommée Pétale d'Ambre, lança un regard courroucé au chef cendré. Les yeux ambrés de ce-dernier se firent plus insistants, plus pénétrants. Bientôt la chatte siffla et plaqua ses oreilles sur son crâne avant de descendre du promontoire.

   « Étoile de Tempête, c'est de ma faute, je n'aurai pas du répondre comme je l'ai fais... » miaula Cœur de Jais à l'intention du matou tigré.

Mais Étoile de Tempête l'ignora et s'adressa à la foule.

   « Que tous se lèvent et s'avancent ! Nous partons maintenant ! »

Fleur Sauvage, comme tout ces camarades, restait totalement muette par la scène qui venait de se produire sous ses yeux. La faim les rendait tous beaucoup plus irritables que la normale...

   « Eh bien !" miaula la chatte argentée, amusée qui faisait partie de la patrouille de chasse. Pétale d'Ambre ne sait vraiment rien refuser à son frère !

Fleur Sauvage ne la connaissait que trop bien, Source Argentée était l'une des meilleures chasseuses du clan. Elle était connue pour sa gentillesse et son humour sans limite. De tout le clan, elle devait être la dernière à avoir encore l'énergie de faire de l'humour.

Cœur Argenté, le matou gris qui faisait partit de la patrouille s'approcha de Fleur Sauvage, l'air comblé.

   « Alors, Fleur Sauvage ? Tu es prête pour le voyage ? Est-ce que ta sœur a mangé aujourd'hui ?

- Non, papa » fit la femelle, dépitée. « Elle refuse d'avaler quoi que ce soit. J'ai essayé mais... »

Aussitôt trois silhouette s'approchèrent d'eux : Aile de Chouette , Lune Brillante et Plume d'Aigue-Marine. Cœur Argentée enlaça Aile de Chouette en ronronnant. Ils s'échangèrent un regard emplit d'amour, les yeux brillants.

   « Et si nous partagions ce lapin avant le départ ? »

Fleur Sauvage comprit que c'était la seule façon que son père avait trouvé pour faire manger Plume d'Aigue-Marine avant le départ.

   « Excellente idée ! » s'exclama Aile de Chouette, comme si elle lisait dans ses pensées.

Les cinq félins se penchèrent sur la proies et commencèrent à la dévorer. Plume d'Aigue-Marine ronchonna un instant, puis prit une bouchée, hésitante. Fleur Sauvage soupira de soulagement, et comme tout le reste de sa famille, ralentit sa mastication pour laisser la jeune chatte manger en priorité.

Tout à coup un miaulement sonore retentit dans tout le campement. Fleur Sauvage dressa le museau et contempla la masse s'agiter. Tandis que les anciens prenaient appuis sur leurs pattes, les guerriers commencèrent à marcher vers l'est, suivit des reines et des chatons.

Heureusement, ils avaient eu le temps de finir le lapin. Ainsi, le voyage allait être moins pénible pour ses sœurs et ses parents. Alors que Fleur Sauvage tenta d'identifier Croc de Jaguar dans la foule, une tête grise se détacha du reste en approchant vers elle. C'était Aile de Brume. La reine se hissa tant bien que mal vers la guerrière calicot.

Malgré son gros ventre, elle avait gardé la grâce et la souplesse d'une guerrière.

   « Fleur Sauvage ! Étoile de Tempête m'envoie te chercher ! Tu dois les rejoindre en tête du convoi, Plume de Flamme a besoin d'aide pour guider les deux autres Clans."

La chatte n'hésita pas une seconde. Après une œillade entendue à sa mère, elle suivit Aile de Brume en trottant pour devancer les autres. La chatte avait du mal à courir avec son ventre gonflé, mais la volonté de la future mère semblait la rendre forte. Un peu agacée d'être ralentie, Fleur Sauvage remua à plusieurs reprises les oreilles en voyant la reine ralentir pour reprendre son souffle. Fleur Sauvage se surprit même à aller moins vite que le convoi lui même.

   « Aile de Brume, tu devrais allez rejoindre Cœur de Soleil, je suis sûre qu'il s'inquiète pour toi. »

La reine s'arrêta net et fit volte-face, les yeux ronds. Fleur Sauvage se sentit soudain mal, peut-être avait-elle été trop dure ?

Soudain, Feuille de Pin s'approcha des deux femelles et salua la guerrière d'un hochement de tête.

   « Aile de Brume, tu veux bien marcher à coté de moi pendant le voyage ? Comme ça nous pourrions nous soutenir de nos grossesses. Ce sera sûrement mieux pour tout le monde. »

Aile de Brume ronronna de bonheur en entendant les paroles si douces de son amie. Et visiblement, la remarque de Fleur Sauvage lui été passée par dessus.

   « Très bien, je te suis. Après tout, je ne pense pas que Fleur Sauvage ait vraiment besoin de mon aide. »

Malgré ses mots, la femelle garda un sourire sincère et rejoignit Feuille de Pin en la frôlant, comme pour la câliner. Fleur Sauvage ne se sentit plus coupable, et fut soulagée d'apprendre que sa route se ferait plus rapidement.

   « Eh, Fleur Sauvage ? » fit Feuille de Pin en tournant la tète. « Tu n'aurais pas vu Croc de Jaguar ? Je ne l'ai pas vu dans le convois.

- Non, désolée.

- D'accord. Merci quand même ! »

La femelle roux clair disparut bientôt, épaulée par la reine grise. De dos, les deux chattes semblaient tout à fait semblables avec leurs ventres ballonnés.

Fleur Sauvage s'appuya sur ses pattes arrières et s'élança avec de grandes enjambées à travers la plaine. Le vent sifflait dans ses moustaches et sa queue ondulait à la grâce de ses mouvements. Bien vite, elle aperçut au loin la fourrure rousse et blanche du lieutenant.

   « Plume de Flamme ! » s'exclama-t-elle entre deux bonds.

Le matou se retourna, une patte dressée.

   « Plume de Flamme ! » répéta-t-elle une fois à son niveau. « Tu m'as demandé ?

- Oui, je suis content que tu ais pu venir. Est-ce que tu pourrais aller voir le Clan de la Rivière ? Il est partit avant nous, suivi du Clan du Vent... »

Le matou retroussa le nez de colère mais se retint de jurer. Il secoua une oreille puis continua en prenant soin de paraître calme.

   « Pars devant avec Cœur de Jais, vous serez sûrement plus convainquant à deux. Allez voir les chefs et dîtes leur de ralentir l'allure. Les Clans doivent être unis pour voyager. »

Un matou apparut à côté d'eux en quelques bons agiles et vint se dresser à coté.

   « Je suis prêt, Plume de Flamme ! »

Le matou noir bomba le poitrail, comme pour se faire pardonner de son écart plus tôt. Le lieutenant battit de la queue et soutint leurs regards pour inciter leur départ. Fleur Sauvage fit volt face et s'empressa d'accomplir sa mission. À sa droite, Cœur de Jais courait aussi vite que ses pattes le lui permettaient. Son pelage épais et sa carrure forte n'étaient pas fait pour la course et Fleur Sauvage se demanda même pourquoi le lieutenant avait tenu à ce que ce soit lui qui l'accompagne. Mais la réponse lui vint vite : Si les Clans se retournaient contre eux, avec ce guerrier expérimenté, ils auraient tout deux une chance de s'échapper. Ou alors c'était juste elle qui se l'imaginait... Au fond, elle voyait mal le lieutenant penser ça.

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