"Tu as prit bien du temps à trouver", marmonna Roche en remuant les moustaches.
Faucon était à la fois si heureux qu'il pourrait traverser les montagnes en quelques bonds, et si dévasté qu'il avait envie de s'engouffrer pour toujours dans la tanière des aspirants. Comment sa place pouvait-elle être ailleurs, alors qu'il était né dans la Tribu ?
Ton père est l'un des chats qui vit dans la forêt, au pied de la montagne. Il vit dans l'un des quatre clans : le Clan du Tonnerre.
Les paroles de sa mère lui revinrent en tête. Si son père était un chat qui habitait loin, il n'était peut-être pas si étonnant que sa destinée soie de vivre ailleurs, loin de la Tribu de l'Eau Vive...
"Conteur n'aurait pas rêvé de meilleurs neveux.
- Tu parles de deux chats. Branche doit-il venir avec moi ?
- Ce que Conteur ne sait pas, c'est que Colombe n'a pas sa place ici non plus."
J'avais raison ! Colombe est bien ce chat.. Mais, Conteur ne sait pas que nous sommes deux.
"L'aube approche, remarqua Roche. Va, et parle à ta soeur de ton projet. Une belle destinée vous attend", ronronna-t-il, avant de commencer à disparaître derrière un épais nuage de brume.
Lorsque Faucon se réveilla, les rayons du soleil filtraient dans la grotte des aspirants. Écho, Feuille, Lune et Griffe étaient déjà dehors. Les autres dormaient. Faucon prit du temps à remarquer l'absence de Colombe, alors que sa litière était juste à côté de la sienne. Il sortit de la grotte.
Toutes les odeurs de ses camarades se dirigeaient vers la pouponnière. Faucon, curieux, imita les chats de sa Tribu. Il fut surpris de voir Murmure et Ciel Bleu allongés l'un contre l'autre. L'aspirant dressa les oreilles. Cervelle de souris ! Tu n'avais donc pas remarqué que Murmure attendait des petits ?
Il y en avait deux; ils tétaient déjà leur mère, qui semblait la plus heureuse des porteuses à ce jour. Faucon ronronna, heureux pour les deux parents, mais également car la Tribu aurait de nouveaux chasse-proies ou garde-cavernes. Mais je ne pourrai pas les voir grandir, soupira-t-il intérieurement.
Colombe sauta brusquement vers lui.
"Nous auront de nouveaux amis ! ronronna l'aspirante. Oh, et tu as bien dormi ? Tu t'agitais, dans ton sommeil.
- J'ai passé une bonne nuit, ne t'en fais pas."
Colombe avait déjà tourné sa tête vers les nouveaux nés.
"Au fait, Colombe, il faut que je te parle..
- Pas de soucis ! De quoi veux-tu..
- Colombe ! la coupa Tonnerre. Nous allons s'entraîner encore un peu au combat. Viens !"
L'aspirante hocha la tête.
"Mais d'abord, Faucon veut me parler." Elle se tourna vers son frère. "Que voulais-tu me dire ?
- Ça pourra attendre."
Colombe remua les moustaches, légèrement étonnée, mais salua son frère d'un geste de la queue et partit. L'aspirant tourna à nouveau la tête vers les chatons. Il y avait deux lunes qu'il avait commencé son apprentissage. S'il devenait chasse-proie assez tôt, il pourrait partager son savoir avec les chatons. Puis, il secoua brusquement la tête, comme pour chasser ces pensées. Il devrait partir, et ce, avant de terminer son apprentissage.
"Mon père aurait aimé les voir, murmura Conteur en entrant dans la tanière. Il adorait les chatons. Si seulement nous ne l'avions pas retrouvé dans ce fossé...
- La Tribu de la Chasse Eternelle l'a sûrement accueilli comme nous acclamons des nouveaux nés, rétorqua Murmure. Tout le monde appréciait Roche, Conteur, et tu le sais.
- Je suis désolé. Je sais que je devrais me réjouir, au lieu de rester sur le passé." Il soupira. "¨Mais je me demande ce que je serai devenu si je n'étais pas son fils.
- Tu serais garde-caverne." Elle se tourna vers Faucon. "Tu veux bien aller me chercher un lièvre ? Il me faut de quoi nourrir ces deux gourmands.
- J'y cours."
Il sortit pour aller vers le tas de gibier. Une boule de jalousie lui noua la gorge. Est-ce que j'aurai une compagne, dans le Clan du Tonnerre ? Et est-ce qu'elle me donnera des chatons ? C'était la première fois que l'aspirant pensait à ce genre de choses. Il retourna déposer le lièvre à Murmure, qui le remercia, et sortit de la grotte.
Il faisait un peu moins froid que d'habitude. La brise légère soufflait sur son pelage, comme si elle essayait de lui dire quelque chose. Une voix lointaine, qu'il comprenait à peine, le berçait. Il entendait juste les mots : Partez loin. La phrase complète lui restait inconnue. Le jeune matou ferma les yeux et écoute le souffle du vent.
"Alors, ton entraînement, Colombe ? demanda Faucon à sa soeur, qui venait juste de rentrer avec Tonnerre.
- C'était assez bien ! Mais Tonnerre me dit qu'il me faut encore beaucoup d'entraînement, avant de devenir une vraie garde-caverne."
Tu ne le seras jamais ! cria Faucon intérieurement, pourtant en fixant sa soeur toujours de la même expression.
"Tu as toutes les compétences pour en devenir une, miaula-t-il avec un ronronnement forcé. Pas comme moi. Mais finalement, ce n'est pas si mal d'être chasse-proie."
Et puis, il me faut connaître au moins les bases de la chasse, pour rejoindre les clans.
Colombe tourna la tête vers la grotte-pouponnière.
"Tout à l'heure, tu voulais me dire quelque chose. Qu'est-ce que c'est ?
-Je te le dirai demain. Sa peut attendre."
Elle hocha la tête, puis s'approcha de son frère.
"Tu penses qu'un jour, on changera de territoire ? demanda la femelle. Je veux dire.. Toute la Tribu ?
-Peut-être. Mais cela fait des générations que le territoire de la Tribu est ici. Il nous faudra sans doute du temps pour quitter cet endroit."
Si seulement tu savais..
Colombe le fixa, surprise. Pourquoi tu me regardes comme si je m'étais changé en renard ?!
"Si seulement je savais quoi ?" miaula-t-elle soudainement, avec un petit ton de colère.
Ce fut au tour de Faucon de la fixer sans dire un mot. J'ai parlé sans m'en rendre compte !
"Écoute, Colombe.. Nous.. Nous ne sommes pas destinés à vivre sur ce territoire, toi et moi.
- Hein ?! Mais.. Tu viens de me dire que.. Qu'on prendra du temps avant de quitter cet endroit !
- Tu m'as posé cette question en parlant de toute la Tribu, j'ai répondu en parlant de la tribu. Toi et moi, c'est différent."
La femelle brun-gris semblait sur le point d'exploser, comme s'il venait de la traiter de coeur de renard. Elle sortit les griffes, puis leva les yeux vers son frère.
"Je ne partirais pas ! Je suis née ici, et je resterai ici jusqu'à ma mort ! Un territoire un jour, un territoire toujours !
- Je ne plaisante pas, Colombe ! Ce sont nos ancêtres qui m'ont dit ça ! L'ancien Conteur !
- Qu'est-ce que j'en ai à faire ?! Toi, pars, si tu veux, va chercher un stupide territoire dont te parlent des chats morts, mais moi, je reste ici !"
Il se figea. Il n'avait jamais vu sa soeur dans un si grand excès de colère.
"Tu sais quoi, cervelle de moineau ?! feula Faucon. Je vais m'en aller ! Et personne ne s'en rendra compte, même toi, sa te rendra heureuse, j'en suis sur ! Je partirai à la recherche de notre père moi-même !"
Il sortit les griffes, la fixant un instant, se préparant à sauter, puis abandonna cette idée, et fonça vers la grotte des aspirants, laissant une Colombe enragée derrière lui.